Milk Coffee & Sugar :Histoire d'une rencontre entre Aimé Césaire et le rap.


  Café au lait sucré, mélange du café et du lait symbolisant le mélange des genres et des influences tel est le credo de ce duo atypique faisant vibrer à l’unisson littérature et musique.

   C'est l'histoire d'un type, tiraillé entre le Rwanda et la France, un type talentueux qui en 2005 gagna la finale du tournoi de slam face au célèbre Grand Corps Malade. Un amoureux des mots mais blessé par ceux-ci et c'est dans la musique que se fera sa catharsis. Ce mec, cet écorché vif, c'est Gaël Faye. L'autre, c'est Edgar Sekloka interprète français d'origine Camerounaise, amoureux du théâtre, il l'étudia plusieurs années et rédigea même ses propres pièces et nouvelles. Maintenant auteur de romans ayant étés sélectionnés au prix RFO et au prix Glennois, aussi à l'aise donc, avec le stylo et sur le beat. Ces deux artistes hors normes se sont rencontrés, se sont appréciés et en ensemble ils ont formés un duo, alchimie parfaite et mélange de leurs influences, la puissance des mots combinée au charme musical. Ils sortent donc leur premier album attendu par nombres de gens, album entre rêve et révolution.          

   Au niveau musical le métissage est de mise, c'est en effet un groupe aux inspirations les plus éclectiques et cela se remarque très bien au fur et à mesure que l'on traverse ce rêve auditif. Il y a tout de même une prédominance « Jazzy » avec une grande présence des cuivres donnant chaleur et une force enivrante à l'ensemble. Mais sur certains morceaux, une énergie beaucoup plus proche du rap des Mcs américains se révèle notamment lors du featuring avec Tumi And The Volume une pointure dans ce domaine ou bien le fabuleux rappeur qu'est Beat Assaillant. C'est donc la diversité qui prime, rare sont les artistes au sein d'un même album à pouvoir se vanter d'une telle variété, il faut avouer que l'on ne peut qu'être impressionné lorsque l'on passe d'un titre doux et langoureux comme « elles » à un morceau rageur comme « Big Bang », passer d'un voyage si mélancolique offert par « Croire en nous » à un appel au changement tel qu' « allumez les briquets » . La puissance de leurs beats n'est pas en reste, ils sont puissants simples mais imparables, exit les auto-tunes à la mode ici règne l’authenticité. On peut aussi sentir sans peine l'influence Africaine des deux artistes, notamment avec la présence d'Ange Fandoh ou de certaines percussions nous faisant voyager entre l'Afrique et la France, entre la chaleur du Rwanda et la grisaille de Paris.

   Pour ce qui est des paroles présentes dans cet album on ne peut qu'être subjugué par leur qualité. Les mots sont maniés tel le bretteur manie l'épée, ils sont vifs, incisifs, percutants et assénés avec une maîtrise parfaite. De part la nature anti-libérale des paroles du duo nous aurions pu nous attendre à des paroles banales et remplies de clichés au service d'une cause en laquelle ils ne croient pas mais ce n'est pas le cas. Ils allient le cri de détresse à la poésie, à coup de métaphores et de prouesses rythmiques la rhétorique est maîtrisée et l'on ne peut qu'adhérer à leurs propos. Ils évitent les écueils de la révolte adolescente ou de l'appel à la mobilisation générale pour diriger leurs propos sur la révolte quotidienne, privilégies la poésie au service du pragmatisme plutôt qu'à l'illusion des grands idéaux, ils illustrent d'ailleurs parfaitement cette idée à travers cette phrase « changer les choses, à son niveau, c'est faire une croix sur l'océan, se concentrer sur les gouttes d'eau ». Parfois le beat est ralenti pour que le texte seul prédomine comme c'est le cas dans « Alien » réel cri de désespoir, des paroles frappant juste et sachant montrer le problème sans sombrer dans la démagogie de base. C'est du rap conscient mais loin des clichés du genre grâce à cette singularité dans le propos et des phrases simples mais habilement tournés et faisant mouche tel « il faut penser le changement et non changer le pansement ». On sent aussi fortement l'influence de la littérature de l'émancipation coloniale représentée par Aimé Césaire avec plusieurs références pour celui-ci et pour les îles. Il est aussi évident que les paroles désabusées de « croire en nous » trouvent écho chez les littéraires qui composent la licence avec des phrases comme « J'ai fait des études de Lettres, j'aurais dû être professeur mais je ne tient pas à enseigner l'aigreur entre meurtre et peur » ou bien « Je suis pas bien haut et pas bien habillé pourtant ce sont les livres qui me couvrent ». L'envie de citer leurs paroles est immense mais sorties de leurs contextes elles perdent de leur superbe. Pour conclure sur l'aspect « lyrical » de MC&S vous l'aurez donc compris nous avons affaire à de vrais artistes parlant non pas pour plaire mais pour exprimer ce qu'ils ressentent, c'est une catharsis poétique. Une émancipation par les mots, ceux-ci étant maniés de la plus belle manière qui soit.

   Il convient maintenant d'évoquer le point qui dans nombres de groupes à tendances contestataire vient noircir le tableau : la production de l'album. Sachez que la encore le duo est irréprochable, en effet l'album est entièrement auto-produit et la réalisation artistique est réalisée par le groupe (doté d'un troisième membre lors des lives nommé Guillaume Poncelet membre de l’orchestre National de Jazz et ayant aidé à la réalisation des beats.) ainsi qu'un mix des morceaux fait par un grand nom Philippe Weiss donnant à l'album un cachet irrésistible. Pas de grosses majors à l'horizon et donc pas de contraintes commerciales. De plus il est intéressant de dire que l'album a été réalisé dans les studios Davout à Paris mais surtout que le mastering a été réalisé dans les studios Sterling Sound de New York permettant une qualité sonore digne des plus grandes productions tout en demeurant indépendant.

 

   Pour conclure sur cet excellent groupe qu'est Milk Coffee & Sugar, il s'agit sûrement de la plus grosse claque rap/slam de l'année 2011. Une telle aisance dans les mots, une telle diversité dans la musique, c'est un voyage entre la mélancolie, la rage, la tristesse et l'amour que nous offre cet album. A conseiller à tout le monde, que l'on soit fan de rap ou nous, il suffit d'aimer ressentir ce si singulier frisson lorsqu'une chose nous touche, il suffit d'aimer ressentir cette rage qui nous anime lorsque souffle un vent de révolte, en somme... il suffit de vivre pour aimer ce groupe, je le conseille même à celui qui ne supporte pas la musique ne serait-ce que pour la beauté des mots. Face à un tel groupe l’objectivé paraît inatteignable tellement l'imprégnation que l'on subit lors de l'écoute est forte. C'est donc le sourire et lèvres et plein de sincérité que je conseille cette boisson, ce si rafraîchissant et grisant.... café au lait sucré.

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